Partis de Tagong hier matin, nous avons parcouru sous un ciel désespérément gris et voilé les 250 km nous séparant de Garze, la capitale du Kham. Dommage, car là encore nous traversons des paysages majestueux, avec un col à 4100 m d’altitude. Garze s’avère une ville ayant conservé beaucoup de cachet, avec son architecture tibétaine, ses rues animées et ses nombreux marchés colorés.
Heureuse surprise ce matin : sur un ciel d’azur, se détache une haute chaîne de montagnes couvertes de neige. Le Kawa Lojen, dont les sommets flirtent avec les 6000 mètres.
Nous partons en taxi en direction de la nonnerie. Comme il se doit, l’édifice religieux bâti le plus loin de la ville. Avantage pour nous : il occupe un site privilégié, deux cent mètres plus en altitude, offrant un panorama grandiose.
Inconvénient pour les nonnes : elles vivent loin de tout.
En arrivant sur place, première constatation : les alentours particulièrement propres montrent le soin apporté par ces religieuses à leur environnement.
Perché tel un nid d’aigle, l’ensemble monastique s’étage sur plusieurs terrasses. Au sommet, le Jokhang (temple principal) offre de belles statues anciennes, mais surtout une représentation du chef du monastère, bien naturellement un homme : le Lamdrak Rimpoche (le précieux).
De la terrasse jouxtant ses appartements privés, nous découvrons une vue époustouflante. A nos pieds, la vallée s’étire sur une trentaine de kilomètres, dominée par les cimes enneigées du Kawa Lojen.
Nous rencontrons peu de nonnes : occupées à prier, nous évitons de les déranger.
Une agréable promenade de cinq kilomètres franchie une crête avant de plonger sur le monastère réservé aux moines. Déception, un vaste chantier de construction entoure les antiques bâtiments. En fait le monastère s’agrandit.
On pénètre souvent dans un monastère en arrivant par les temples situés en aval.
Venant de la nonnerie, nous abordons la visite par l’amont. Une vaste coursive agréablement aménagée en jardin d’hiver, court tout autour de la partie supérieure du Jokhang. Les moines, ici présents en nombre, nous réservent un accueil chaleureux. Nous sommes invités à recevoir la bénédiction, accordée contre une obole symbolique : nous voici marqués de la traditionnelle Tikka (point de peinture vermillon, apposé sur le front).
Ce monastère, le plus ancien et le plus grand du Kham, recèle de véritables œuvres d’art antiques. Spectacle insolite : un mur entier recouvert d’armes d’un autre temps. Épées et poignards finement ouvragés, antiques fusils… Témoignages d’un passé turbulent, aujourd’hui révolu, mais dont les moines restent les dépositaires.
Poursuivant notre progression vers la partie basse du monastère, nous arrivons à l’heure de midi vers la dernière salle de prières. Une cloche retentit, sonnant l’appel. On nous invite à participer. A peine installés en position du lotus (enfin pour ceux supportant cette inconfortable position), une soudaine et surprenante agitation parcourt l’assistance. En fait, les moines, à notre grande surprise, vont nous inviter à partager leur repas. Bols et baguettes surgissent de leurs havresacs. Un moinillon nous apporte un bol et des baguettes. De jeunes intendants passent dans les rangs et servent à chacun une copieuse ration : aurons nous droit à la Tsampa ? Et bien non. Voici la définition donnée par André : écrasé de pommes de terre, parfumé à la ciboule et au gingembre. Tout simplement délicieux !
Malgré le nombre de participants (plus ou moins 250 moines), le repas s’avale dans un silence… religieux. Exceptée la prière prononcée à forte voix, par un unique moine dominant toute l’assistance.
Sans doute en guise de «Benedicite», s’ensuit une prière psalmodiée en choeur. Chaque «strophe» se voit ponctuée d’une étrange voix de gorge. On croirait entendre des chanteurs de Khumi, cet exceptionnel chant mongol.
Encore une séance dont nous garderons longtemps le souvenir.
Nous reprenons notre randonnée, pour traverser la vallée en direction d’un imposant «chörten» de facture récente.
A l’approche du monument, se dresse une tente de fortune, sous laquelle huit nomades khampas prennent leur repas. En quelques minutes, la faconde de Jean-Pierre obtient le résultat escompté : nous voici en train de fraterniser. Nous échangeons nos âges, évoquons nos familles respectives. Jean-Luc, le benjamin de notre groupe se voit gratifié, de la part du doyen des khampas (74 ans), d’une blague bien grivoise déclenchant l’hilarité générale.
Il nous reste à accomplir la rituelle circum-nambulation de l’édifice religieux avant de rejoindre le centre de Garze. Flânerie, shopping… et repas tibétain, bien évidemment arrosé du toujours excellent vin rouge devenu (presque) indispensable. Sans le moindre regret : les ceintures de nos pantalons suffisent à peine à les maintenir autour de nos tailles de damoiselles !