Retour en direction du complexe monastique de Manijago, pour une découverte approfondie.
Cette fois, le trajet aller se fera en véhicule.
Didier retrouve avec plaisir Ani (la nonne), une des très rares conductrices vues au cours du voyage. Nonne et chauffeur de taxi, propriétaire de son propre minibus. Lors d’un précédent séjour en compagnie de Martine et Jean-Pierre, Ani les avait conduit tout au long d’un périple sur pistes et routes défoncées, faisant preuve d’une excellente maitrise du volant et d’une bonne humeur permanente.
Évidemment, les trois autres mousquetaires ne se privent pas de faire quelques plaisanteries graveleuses dont Ani et Didier font les frais. Ces impis n’ont que faire de la spiritualité !
Halte à la maison familiale de Patchen et Sarker, son épouse. Là encore, André découvre un spectacle insolite. Dans une pièce tenant lieu de sanctuaire privé, 25 moinillons (ou nonnesses, les crânes rasés entraînent le doute) lisent en chœur des livres de prières. Chantant à tue-tête, chacun(e) s’efforce de surpasser la voix de son voisin(e) : le résultat, dans cette pièce confinée s’avère hypnotique.
Cette cérémonie s’exécute dans le cadre imposé du canon mortuaire bouddhiste : le Bardo Tödol. Un oncle de Patchen, récemment décédé, sera ainsi accompagné pendant cinquante jours de nombreuses prières le conduisant vers sa prochaine réincarnation.
Étape suivante : un gigantesque mur de Mani, réalisé en lauzes d’ardoises soigneusement taillées. Haut d’une quinzaine de mètres, long de cent cinquante, ceint d’imposants moulins à prières, il fallu plus de quatre ans pour le construire. Jeunes et anciens déambulent autour, comme il se doit toujours dans le sens des aiguilles d’une montre.
Des tailleurs de pierres gravent à la demande et en quelques minutes, sur des ardoises, le mantra sacré. André ne peut résister au plaisir d’en acquérir une.
Quelques mètres plus loin, une équipe de cinq ou six joyeuses nonnes s’apprêtent à charger de lourds sacs de riz sur le plateau d’une fourgonnette. A la vue de la musculature imposante de Jean-Luc, Jean-Pierre et André, elles ne peuvent résister à l’envie de faire appel à leur force. Didier, le gringalet de l’équipe, courageux mais pas téméraire, se tient prudemment en retrait pour immortaliser le tableau.
Chaque ballot, d’au moins cinquante kilos, se retrouve promptement hissé avec force éclats de rire. Pour finir, une de ces charmantes nonnes béni le Mala (chapelet en bois de santal) dont André ne se dépare plus depuis quelques jours. Séquence émotion.
Cette scène étonnante appelle quelques remarques sur l’égalité hommes-femmes au Tibet.
Les bouddhistes tibétains ignorent le mythe judéo-chrétien du sexe faible.
En conséquence de quoi, les femmes ont le privilège, voire le devoir de pratiquer de nombreuses activités considérées comme masculines (ce qui ne les dispense nullement des activités dites féminines, comme cuisiner et s’occuper des mômes !).
Voici un petit florilège non exhaustif dont nous sommes quotidiennement les témoins.
Bêcher, planter, récolter, soulever et transporter de lourdes charges, faire les cantonnières, bref manier la pelle et la pioche…
Les hommes quant à eux, conduisent, prient et méditent, voire les trois à la fois.
Ils se consacrent aussi à de longues palabres, autour de succulentes tasses d’eau chaude, à la rigueur de thé.
Dans les monastères, la pré-éminence des femmes garde cependant une distance de bon aloi : les lamas prient, les nonnes les prient de bien vouloir les accepter à leurs côtés.
Nous décidons de rejoindre Tagong par le plateau verdoyant. Jean-Pierre nous fait miroiter un plat de nouilles, à déguster au prochain village. 13 heures, le petit déjeuner léger du matin remonte à loin, nos estomacs crient famine. Las, le restaurant annoncé se révèle un mirage, dans un hameau déserté.
Affamés, nous arrivons à 14h30 à Tagong, prêts à dévorer un yack.
Une fois n’est pas coutume : repas anti-gastronomique. Voulant nous faire plaisir, Jean-Pierre commande du canard. Mais la cuisinière éprouve sans doute une haine féroce à l’égard du malheureux volatile. Sauvagement haché en tronçons faits de chair et d’esquilles, puis rôti à feu très vif, nous devons finalement renoncer à l’utilisation des baguettes pour suçoter les chicots carbonisés.
Accompagnés de limaces blanchâtres supposées être des aubergines, nous avons bien du mal à reconnaître le mets succulent auquel nous sommes habitués.
Déçus, nous nous consolerons avec une bonne douche (les pompes remplissent enfin leur office). Et le repas du soir comblera nos papilles, un instant malmenées.
Quel beau voyage « hors du monde » ! Tout n’est qu’émerveillement : immensité des hauts plateaux, trésors des monastères, énergie du dénuement, âpreté à survivre, ferveur tenace de ce peuple optimiste et attachant, sans parler de la détermination du deuxième sexe, au cœur ouvert et à la générosité incroyable… une grande leçon d’humilité !
J’ai hâte de découvrir le toit du monde !!!
Tagong sera toujours Tagong.
Deux connaisseurs Michel Delhomme et Marc Fayette.